« ETAT DES LIEUX » DE LA PRISE EN CHARGE ACTUELLE DE L'INSOMNIE
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LA PRISE EN CHARGE ACTUELLE DE L'INSOMNIE - UN CONSTAT D'ÉCHEC
Il nous semblait intéressant de mener cette enquête dans la mesure où elle nous permettait un « état des lieux » sur la prise en charge actuelle de linsomnie trois ans après le rapport alarmant d'Edouard ZARIFIAN sur la consommation des psychotropes en France (« Mission générale concernant la prescription et lutilisation des médicaments psychotropes en France » Mars 1996 274 pp).
Il apparaît, que même menée sur un petit échantillon de patients, notre enquête retrouve les mêmes caractéristiques de la population consommatrice dhypnotiques et les mêmes déviances dans la prise en charge de l'insomnie.
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LA POPULATION CONSOMMATRICE D'HYPNOTIQUES
- La consommation d'hypnotiques augmente bien avec l'âge et devient prépondérante après 40 ans. De fait, dans notre étude, la première prise survient autour de la cinquantaine, tant chez les hommes que chez les femmes.
- Elle est, en outre, très liée à l'état de santé somatique des patients. Le nombre de lignes moyen d'une ordonnance d'hypnotique (6.1 dans notre étude; 5.2 - ZARIFIAN, 1996) est très élevé alors que dans une ordonnance sans hypnotique le nombre moyen de lignes est presque moitié moindre (2.9 - ZARIFIAN, 1996). La maladie est à la fois un facteur déclenchant de la prise initiale (48% des cas dans notre étude) et un élément favorisant la prise continue du traitement. Parmi nos patients nayant jamais tenté de sevrage de leur hypnotique, 54% présentaient une pathologie associée aux troubles du sommeil.
- Les facteurs de risque pouvant entraîner des troubles du sommeil touchent essentiellement les femmes, ce qui est en accord avec les conclusions du rapport de ZARIFIAN (1996) montrant une consommation le plus souvent féminine d'hypnotiques et d'anxiolytiques en France. Il semble, en effet, intéressant de souligner la part importante tenue par les femmes (66.7% des cas) dans la population de patients traités pour troubles anxio-dépressifs.
- De fait, même au sein de notre petit échantillon de patients interrogés, la consommation dhypnotiques est très liée aux difficultés socio-professionnelles (ZARIFIAN, 1996). Dans notre étude, les facteurs environnementaux sont dans 52% des cas impliqués dans le déclenchement de linsomnie. En outre, il est intéressant de remarquer que les troubles du sommeil initiaux portent essentiellement sur des difficultés dendormissement isolées (70% des cas), ce qui est classiquement décrit comme le type dinsomnie rencontré en cas de « stress » important.
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LA PRISE EN CHARGE DE L'INSOMNIE
- Les patients se tournent vers leur médecin généraliste, responsable dans plus de 85% des cas (93% des cas dans notre étude) de la prescription initiale dhypnotique (ZARIFIAN, 1996). Il reste qu'aucun des patients interrogés dans notre enquête na fait lobjet dune investigation quelconque de ses troubles du sommeil (agenda de sommeil, actimétrie, polygraphie de sommeil
). De fait, lidentité professionnelle du médecin en France se concrètise essentiellement par lordonnance dun médicament (ZARIFIAN, 1996).
- Cette prescription porte essentiellement sur les « nouvelles » molécules hypnotiques apparentées aux benzodiazépines. Le trio STILNOX® - IMOVANE® - ROHYPNOL® représente 58% (ZARIFIAN, 1996) à 65% des prescriptions (notre étude). Ceci est une particularité bien française. La France, en effet, demeure le pays le plus consommateur dhypnotiques en Europe, avec une stabilité remarquable au cours de la période 1991 - 1994 ; lévolution est marquée par une diminution des benzodiazépines au sens strict du terme au profit des deux produits les plus récents que sont le Zolpidem et la Zopiclone (ZARIFIAN, 1996). Ces deux molécules représentent à elles seules 69% des prescriptions dans notre étude. Les prescripteurs ont donc su tirer profit du progrès apporté par l'avènement de ces deux molécules. Il faut cependant noter que leur mise sur le marché français remonte à plus de 10 ans (respectivement 1987 et 1988 pour la Zopiclone et le Zolpidem) depuis lesquels elles ont assis leur suprématie en l'absence de toute innovation.
- Une fois le traitement instauré, les patients interrogés restent fidèles à leur hypnotique, quils prennent en continu dans 89% des cas. Seuls 31% dentre eux ont tenté un sevrage. Cette prise régulière dure, en moyenne, depuis plus de 8 ans. Ce chiffre est à rapprocher de lancienneté moyenne (7.5 ans) du traitement par hypnotique rapportée par ZARIFIAN (1996) ; 57% des consommateurs dhypnotiques ont débuté leur traitement depuis 5 ans au moins (52% dans notre étude) - 33% depuis au moins 10 ans (40% dans notre étude).
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DE L'EFFICACITÉ DE LA PRISE EN CHARGE
Ces observations restent grandement alarmantes.
- De fait, si les hypnotiques sont efficaces et si les nouvelles molécules tendent à induire un sommeil proche du sommeil physiologique, l'efficacité des hypnotiques GABAergiques ne perdure pas au-delà de quelques mois. Leur utilisation à long terme ne peut quentraîner une majoration de leurs effets secondaires et lapparition de phénomènes daccoutumance. La mise en place d'un protocole de sevrage devient alors nécessaire. Celui-ci sera d'autant plus difficile que les hypnotiques auront été administrés longtemps et à doses élevées. Ces molécules ne peuvent donc briguer d'autre statut que celui de traitement symptomatique de l'insomnie. Elles ne doivent être qu'un des éléments de la prise en charge de l'insomnie qui nécessite une investigation clinique du patient et un traitement conjuguant des approches psychothérapiques, comportementales et pharmacologiques. Leur indication doit se limiter au traitement des insomnies occasionnelles ou réactionnelles récentes (< à 3 semaines), chaque fois que l'hygiène de sommeil et les traitements non pharmacologiques s'avèrent insuffisants (BENOÎT, 1991). Quoiquil en soit, la durée de prescription doit être courte (quelques jours à quelques semaines selon les cas) et le traitement réévalué régulièrement et ce conformément à lesprit de larrêté du 7 octobre 1991 qui limite la durée de prescription des médicaments hypnotiques à 4 semaines, à l'exception de lHALCION® pour lequel la durée de prescription est limitée à 2 semaines.
- Il semble donc que la prise en charge des insomnies reste encore de nos jours un échec flagrant même si les patients semblent satisfaits de leur traitement. Cette constatation est dautant plus inquiétante que plus de 10% de cas nouvellement traités entrent chaque année dans le groupe de patients traités au long cours par les benzodiazépines et assimilées, et ce de façon non conforme à la réglementation (ZARIFIAN, 1996). Dans notre étude, 12% des patients interrogés prennaient leur traitement depuis moins dun an. Il serait intéressant de suivre leur devenir
. Au bout dun délai moyen de 7 mois, le traitement est poursuivi dans 45% des cas (ZARIFIAN, 1996).
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LES RAISONS D'UN TEL ÉCHEC
La poursuite d'un tel traitement renouvelé toutes les quatre semaines par les prescripteurs laisse perplexe .. A l'origine de cette carence, on retrouve trois facteurs essentiels :
- Un défaut de formation du monde médical, tant au niveau universitaire que post-universitaire. A ce propos, il faut souligner que la formation post-universitaire des médecins et des pharmaciens est souvent assurée en collaboration avec les laboratoires pharmaceutiques
Ce défaut de formation est responsable dune trop faible sensibilisation du corps médical aux conséquences des troubles du sommeil alors que lon sait maintenant que la durée du sommeil est un meilleur critère de risque de mortalité que lexistence dun diabète, dune pathologie cardiaque ou dune hypertension. L'insomnie est toujours considérée comme étant de nature essentiellement psychologique, ne requérant que peu d'efforts diagnostiques.
- Un défaut de moyens persistant. En effet, les organismes nationaux de recherche (INSERM, CNRS) offrent peu de crédits aux recherches sur les troubles du sommeil comme sur les mécanismes neurobiologiques à la base de l'homéostasie du sommeil. Peu de Centres de Sommeil sont à ce jour reconnus, en France, par la Société Française de Recherche sur le Sommeil. Les généralistes doivent donc généralement assumer seuls la prise en charge de l'insomnie alors que, le plus souvent, le cadre de leurs consultations ne leur permet pas une approche efficace (manque de temps, difficultés daccompagnement des patients avec le suivi de leur agenda de sommeil, manque d'éléments diagnostiques tels que les tracés actimétriques ou polysomnographiques ...) notamment dans les formes chroniques, dont le traitement repose essentiellement sur une approche comportementale et/ou psychothérapique.
- Un défaut d'information sur les règles d'hygiène de sommeil pourtant simples et constituant une prévention efficace. Leur diffusion reste confidentielle et l'on ne peut que regretter qu'elles ne soient pas intégrées dans les programmes scolaires et ne fassent que trop rarement l'objet de campagne de Santé Publique. Il semble actuellement que les médias soient encore les meilleurs relais de ces informations, la prévalence des troubles du sommeil leur assurant un audimat toujours intéressant.
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